Le Canada a besoin d’un peu de chance pour obtenir des médailles au Championnat du monde à Budapest
29 December 2002Bernard Letendre
Chef de la gestion de patrimoine et d’actifs, Canada
Président et chef de la direction, Investissements Manuvie
Bernard Letendre pratique le judo depuis près de 37 ans et s’est entraîné pendant 30 and au Club Hakudokan de Montréal sous la direction technique de Raymond Damblant, 9e dan. Bernard est ceinture noire troisième dan (Sandan) et enseigne le judo au Club de Judo de l’Université de Toronto. À l’extérieur du dojo, Bernard œuvre au sein de l’industrie des services financiers depuis 23 ans et est Président d’Investissements Manuvie, l’une des plus importantes firmes d’investissement au pays. Bernard est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en droit de l’Université de Montréal. Il est membre du barreau du Québec et a publié des ouvrages juridiques. Administrateur de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), il a également siégé au conseil d’administration des Grands Ballets Canadiens de Montréal, de la Fondation du Musée des beaux-arts du Canada et de la Fondation du Dr Julien. Il vit à Toronto, avec sa femme et leurs trois enfants.
Le secret pour être plus efficace dans tout ce que vous faites
Il y a environ quinze ans, deux scientifiques de Harvard, David B. Yoffie and Mary Kwak, ont publié un livre sur les affaires, intitulé «Une stratégie de judo : retourner les forces de vos adversaires à votre avantage», qui est devenu un best-seller, et a été traduit depuis en dix langues. Je ne crois pas que les auteurs soient eux-mêmes des judokas, et la référence au judo de leur livre voulait seulement être une métaphore pour décrire la victoire de petites entreprises sur des grosses en appliquant des principes comme le mouvement, l’équilibre et le levier. C’est un livre intriguant, et même si les études de cas datent un peu, cela vaut vraiment la peine de le lire si vous pouvez vous le procurer.
Apprenez comment avoir une efficacité maximale avec le minimum d’effort.
On peut vraiment appliquer les principes du judo au monde des affaires, pas seulement métaphoriquement, mais réellement. C’est quelque chose qui me passionne, pour des motifs qui deviendront évidents ci-dessous, et que j’essaie d’appliquer tous les jours, aussi bien dans ma vie privée que dans ma vie professionnelle. En japonais, le terme «judo» se compose en fait de deux mots – Ju et Dō – et il est en général traduit en anglais par “The Gentle Way” (la «voie de la douceur»). On peut excuser tous ceux qui ont visionné les vidéos époustouflants qu’on peut trouver sur Internet pour ne pas avoir remarqué le côté «doux» de la «voie» (ou Dō), dont je vous parle. Voici une des meilleures vidéos, que la Fédération internationale de judo (FIJ) a produite pour promouvoir le judo aux Jeux olympiques de 2012 :
Wow! C’est vraiment spectaculaire, vous ne pensez pas? Je fais du judo depuis 37 ans, et ça me donne encore la chaire de poule! Et c’est en premier lieu parce qu’ils veulent apprendre à appliquer des waza (techniques) comme celles que vous venez de voir, que les gens décident de faire du judo. Mais il y a beaucoup plus dans le judo que les waza.
Une des caractéristiques bizarres du judo est que c’est à la fois un sport et un art martial. Le judo est un sport olympique depuis 1964, et même si la compétition est devenue un de ses aspects les plus connus, elle est loin d’être le seul. Et ce n’est pas non plus, en autant que cela me concerne, le plus important. Certains pratiquants mettent davantage l’accent sur certains aspects, et d’autres pratiquants sur d’autres aspects. Comme beaucoup de personnes pratiquant le judo depuis longtemps, j’ai été initialement attiré par son côté purement sportif, illustré dans la vidéo ci-dessus. Mais au fil des ans, je suis devenu de plus en plus intéressé par le judo «de niveau supérieur». Je vous en dirais un peu plus à ce sujet dans un moment.
Le judo est sous-tendu par un système élaboré de pensée qui s’applique à tous les aspects de la vie, incluant au travail.
Ce qui est important que le lecteur sache pour l’instant, c’est que, comme les autres arts martiaux traditionnels, le judo est sous-tendu par un système élaboré de pensée. En ce qui concerne le judo, il y a deux principes de base. L’un est connu sous le nom de Jita Kyoei, ce qu’on peut traduire par : «prospérité mutuelle pour soi-même et pour les autres». L’autre, connu sous le nom de Seiryoku Zenyo, est l’idée qu’on devrait s’efforcer d’utiliser de la manière la plus efficace – et donc de la plus rationnelle – possible l’esprit et le corps. On appelle souvent ce principe celui d’«efficacité maximale pour un effort minimal». Comme l’explique Jigoro Kano, le fondateur du judo, dans son ouvrage Mind Over Muscle («L’esprit prévaut sur le corps») :
«L’utilisation la plus efficace de votre énergie mentale et physique (seiryoku zenyo) […] peut être appliquée à de nombreux aspects de la vie. Par conséquent, vous devez envisager de quelle manière vous pouvez appliquer ce principe à tous les secteurs de votre vie, et essayer de le faire. […] Cela peut s’appliquer à toutes les situations, peu importe votre âge, votre sexe, les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez, ou votre profession.» (page 108)
Il est objectivement plus souhaitable – et plus rationnel – d’utiliser efficacement son énergie de la gaspiller.
Je pense que très peu nombreux sont ceux qui contesteraient l’idée qu’utiliser efficacement son énergie est objectivement plus souhaitable – et plus rationnel – que de la gaspiller. Mais que signifie exactement «l’utilisation la plus efficace de votre énergie mentale et physique »? Et comment peut-on atteindre un tel objectif? C’est en fait la question clé, et découvrir le moyen d’utiliser votre énergie de la manière la plus efficace est en bout de ligne l’essence même de la “Gentle Way” (la «voie de la douceur»). Comme le dit Kano Shihan :
«Personne ne doute que la réussite dépend du moyen employé. Et, en plus d’être la meilleure manière d’apprendre comment utiliser le plus efficacement votre puissance mentale et physique, on peut dire que le judo est «l’étude des moyens» et que sa pratique est l’étude des meilleurs moyens d’obtenir toutes sortes de réussites.» (page 94)
Dans sa version de base, quand il enseigne comment se défendre contre des attaques, le principe de Seiryoku Zenyo prescrit que, quand quelqu’un vous pousse, vous devriez céder au lieu d’essayer de le repousser avec une force encore plus grande, et plutôt rediriger l’énergie de l’attaquant afin de lui faire perdre l’équilibre, obtenant ainsi un avantage. Céder est plus «doux» que repousser avec une force brute, d’où l’appellation de «voie de la douceur». La maîtrise des applications de base du principe de Seiryoku Zenyo est ce que Kano Shihan appelle le «judo de niveau inférieur». (page 96)
Comme je l’ai dit précédemment, pouvoir renverser les gens avec une force (relativement) minimale est très amusant, et c’est ce qui attire en premier lieu la plupart des gens vers le judo.
Les émotions négatives, comme la peur, la colère ou la négativité, peuvent vous faire gaspiller des quantités énormes d’énergie.
Le judo «de niveau moyen» se préoccupe «d’entraîner votre esprit et votre corps, de contrôler vos émotions, et d’acquérir du courage. Bref, cela signifie pouvoir contrôler comme on veut son corps et son esprit.» (page 98)
La raison pour laquelle ceci est si important est qu’on peut gaspiller des quantités énormes d’énergie à cause des émotions négatives, comme la peur, la colère, la négativité, ou autres. Il n’est donc pas surprenant qu’apprendre à maîtriser ses propres pensées et émotions soit un des moyens les plus importants pour conserver de l’énergie. Pour la plupart des judokas, cette capacité s’améliore au fil du temps, au fur et à mesure qu’ils absorbent progressivement le principe de Seiryoku Zenyo grâce à leur pratique au dojo, et qu’ils commencent à l’appliquer de manière plus large au travail, à l’apprentissage, et ainsi de suite.
Vous pouvez dire que tout cela est bien beau, mais pourquoi est-ce si important de conserver son énergie dans tout ce que l’on fait? C’est logique, et peut-être allez-vous devenir plus efficace et efficient à faire toutes sortes de choses, petites et grandes, mais est-ce que c’est tout ce dont il est question?
Cela nous amène au judo «de niveau supérieur», et voici ce qu’en pense Kano Shihan :
«Atteindre le judo «de niveau supérieur» signifie utiliser de la manière la plus efficace possible l’énergie mentale et physique que vous avez acquise aux niveaux «inférieur» et «moyen», et apporter votre contribution à la société. Par conséquent, c’est le judo «de niveau supérieur» qui a l’application la plus large et qui exige le plus de créativité.» (pages 98-99)
Il ajoute aussi : «La chose la plus importante est d’essayer de se développer afin de pouvoir acquérir autant d’énergie de réserve que possible pour la consacrer à la société.» (page 131)
Le judo n’a pas de monopole dans ce domaine, et la sagesse peut provenir de multiples sources. Certaines personnes comprennent intuitivement ce qu’est le Dō et on peut dire qu’elles appliquent les principes du judo sans avoir jamais mis le pied dans un dojo. Pour beaucoup d’autres, c’est un cheminement de toute une vie, et les leçons apprises au dojo constituent la meilleure approche pour progresser dans la «voie de la douceur».
En bout de ligne, cela concerne le bénéficie apporté à la société dans son ensemble.
En ce qui me concerne, je considère mes rôles d’instructeur de judo et de leader des affaires comme des avenues qui me permettent de poursuivre ma quête du judo de niveau supérieur, et d’avoir un impact positif, bien modeste, sur la société.
Et c’est ainsi que la «voie de la douceur» peut aider quelqu’un à passer de la projection d’adversaires sur des tapis pour s’amuser (ou pour se défendre), à l’entraînement de l’esprit et du corps pour parvenir à une félicité supérieure, être plus efficace dans son travail, mobiliser de l’énergie au bénéfice de la société toute entière, et tout cela dans un esprit de bénéfice mutuel.