Apprendre comment amortir sa chute
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29 December 2006Bernard Letendre
Chef de la gestion de patrimoine et d’actifs, Canada
Président et chef de la direction, Investissements Manuvie
Bernard Letendre pratique le judo depuis près de 37 ans et s’est entraîné pendant 30 and au Club Hakudokan de Montréal sous la direction technique de Raymond Damblant, 9e dan. Bernard est ceinture noire troisième dan (Sandan) et enseigne le judo au Club de Judo de l’Université de Toronto. À l’extérieur du dojo, Bernard œuvre au sein de l’industrie des services financiers depuis 23 ans et est Président d’Investissements Manuvie, l’une des plus importantes firmes d’investissement au pays. Bernard est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en droit de l’Université de Montréal. Il est membre du barreau du Québec et a publié des ouvrages juridiques. Administrateur de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), il a également siégé au conseil d’administration des Grands Ballets Canadiens de Montréal, de la Fondation du Musée des beaux-arts du Canada et de la Fondation du Dr Julien. Il vit à Toronto, avec sa femme et leurs trois enfants.
Combattre équitablement et avec respect : une introduction au débat respectueux du monde des arts martiaux
On ne peut pas toujours être d’accord sur tout. Et, franchement, cela ne serait pas souhaitable.
Les débats et les désaccords sont les piliers du progrès et de l’innovation dans tous les aspects de la vie. Si les gens ne différaient pas d’opinion de temps en temps — des voix isolées, aussi bien que de grands et petites groupes d’individus, s’exprimant contre les idées généralement acceptées — beaucoup des grandes et fantastiques choses que nous prenons maintenant pour acquises — des victoires de la raison comme les droits de la personne ou la science moderne par exemple — n’auraient jamais vu le jour.
À leur époque, Galilée, Martin Luther King Jr. et Susan B. Anthony étaient considérés par beaucoup comme de dangereux radicaux. Maintenant nous leur sommes reconnaissants d’avoir eu le courage de s’élever contre les idées malavisées de leur temps, mais à l’époque beaucoup auraient préféré qu’on les réduise au silence.
Alors, tout comme maintenant, il peut s’avérer tentant d’étouffer un débat pour pouvoir jouir d’une sérénité personnelle ou collective. Mais cela serait une recette de stagnation, qui favoriserait l’accumulation de rancoeur, ou pire (à l’exception de la diffamation, de la calomnie, du discours haineux et de l’incitation à la violence, qui sont proscrits à juste titre, et qui ne font pas l’objet de cet article).
Débattre pleinement et ouvertement des enjeux nous permet de prendre de meilleures décisions
Débattre pleinement et ouvertement des enjeux nous permet de prendre de meilleures décisions, et favoriser la diversité des opinions et des croyances nous rend plus forts à long terme. Mais autoriser ou encourager les gens à avancer et à défendre des points de vue divers — à la maison, à l’école, au travail, et dans la société dans son ensemble — peut rendre les choses inconfortables.
Dans les situations antagonistes, quelles qu’elles soient, les tempéraments peuvent facilement s’enflammer. Les protagonistes défendant les deux côtés d’un argument ont tendance à s’ancrer dans leur opinion. On arrête d’écouter. Et nous savons tous à quel point il est tentant d’attribuer des intentions malveillantes à ceux qui défendent le point de vue adverse, ou à quel point il est facile de développer de la rancune ou du ressentiment envers eux.
Beaucoup de gens ont de la difficulté à gérer les situations où des gens ne sont pas d’accord avec eux
De peur que les débats vigoureux ne dégénèrent en acrimonie et en violence, il vaut mieux gérer ces débats — comme tout processus antagoniste — avec équité et avec respect. Mais il n’est pas facile de maîtriser un débat respectueux, et beaucoup de gens ont de la difficulté à réagir face à des opinions adverses, d’une manière qui soit juste, équilibrée, sécuritaire et faisant preuve de respect mutuel.
Je pratique le judo depuis presque 37 ans, et j’aime tirer des leçons de vie du monde des arts martiaux. Et c’est un de ces cas où les leçons apprises au dojo s’appliquent particulièrement bien hors des tapis, parce que si vous pensez qu’il est difficile de maîtriser vos émotions quand vous débattez des idées, imaginez à quel point il est difficile de les maîtriser pendant une confrontation physique.
Il y a quelque chose de très viscéral à propos de combattre quelqu’un d’autre au corps à corps, et cela fait naturellement ressortir vos émotions les plus fondamentales. Combinez ces puissantes émotions avec des techniques potentiellement dangereuses comme les étranglements, les clés de bras et les projections, et vous pouvez commencer à comprendre le problème. Les choses pourraient facilement dégénérer hors de contrôle, et la pratique d’arts martiaux de combat comme le judo ou d’autres serait tout simplement trop dangereuse si on n’inculquait pas aux pratiquants le sens de l’esprit sportif et un fort respect mutuel, par l’entremise de pratiques régulières et à l’aide du poids des traditions, comme moyen de maîtriser ces émotions.
Quand on a des conversations difficiles, il est essentiel de contrôler ses émotions
L’étiquette, le protocole et le décorum jouent un rôle important dans les arts martiaux traditionnels, où on les considère comme l’incarnation du respect mutuel, et du respect pour l’art lui-même. C’est la raison pour laquelle les sensei insistent pour que leurs élèves aient en tous temps une étiquette et un décorum adéquats — appelé reishiki. Le reishiki comprend de nombreuses règles et de nombreux comportements, mais il n’y en a sans doute aucun de plus important que celui de s’incliner devant son adversaire avant et après avoir pratiqué avec lui (dans le dojo) ou l’avoir combattu (en compétition).
Comme le dit Kano Shihan, le fondateur du judo : «S’incliner est une expression de reconnaissance et de respect. En fait, vous remerciez votre adversaire de vous avoir donné l’opportunité d’améliorer votre technique.» (Kodokan Judo, page 31). Un de ses élèves directs, le grand Kyuno Mifune, a développé cette idée en les termes suivants : «S’incliner exprime votre respect et votre affection sincères pour un autre être humain, en maintenant votre esprit dans la bonne voie. C’est la base d’une société structurée et d’une existence digne.» (Le Canon du Judo, p. 31; «sur quoi je mets l’emphase») En d’autres termes, s’incliner avec respect est quelque chose qu’on ne fait pas seulement avec le corps, mais aussi avec l’esprit, et avec sincérité.
Pour moi, c’est au coeur de ce que cela signifie d’être un bon pratiquant des arts martiaux : Même si je peux être en train de combattre avec toute la détermination que je peux produire, je ne dois jamais avoir l’intention de blesser mon adversaire ou de lui faire du mal. Non seulement je ne lui souhaite pas de mal, mais je prends personnellement la responsabilité de sa sécurité et de son bien-être.
L’idée que les combattants doivent prendre personnellement la responsabilité de la sécurité et du bien-être les uns des autres est absolument essentielle, et c’est l’expression ultime de l’amélioration mutuelle grâce au respect mutuel. Il s’agit en fait du grand paradoxe, mais aussi de la grande leçon des arts martiaux traditionnels, comme le judo, à savoir que du combat, peut émerger une plus grande harmonie. Comme l’exprime Kyuno Mifune : «Le principal objectif du judo est […] de promouvoir la joie au sein de la société humaine.» (Le Canon du Judo, page 31)
Pouvoir débattre avec équité et respect d’idées importantes est la clé de l’obtention de meilleurs résultats.
Que ce soit chez nous, dans nos universités, au travail, ou dans la société dans son ensemble, débattre complètement et vigoureusement — «combattre» ou débattre respectueusement d’idées importantes — est une démarche avérée pour obtenir de meilleurs résultats. Favoriser la diversité des points de vue et des croyances nos rend plus forts à long terme, alors qu’étouffer les débats est une recette qui conduit à la stagnation, et qui risque de fomenter le ressentiment, ou pire. Mais il est difficile de mener des débats sur toute une gamme d’enjeux d’une manière juste et respectueuse, et j’ai parfois peur que nous devenions, tant sur le plan individuel que collectif, de moins en moins bons dans ce domaine.
Selon moi, il y a beaucoup à apprendre de deux personnes qui se combattent l’une l’autre avec toute la technique et toute la détermination dont elles peuvent faire preuve, puis qui s’inclinent mutuellement l’une devant l’autre après le combat pour démontrer une réelle amitié. De la même manière, quand on fait bien les choses, une meilleure harmonie et une meilleure compréhension peuvent réellement émerger d’un débat vigoureux entre deux points de vue divergents.