L’importance de la préparation mentale

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Aux Jeux olympiques de Pyeongchang, plusieurs des athlètes de Jean-François Ménard ont atteint le podium, dont le planchiste Maxence Parrot, médaillé d’argent, et les champions olympiques Scott Moir, Tessa Virtue, et… Mikaël Kingsbury, ou Mik. « On est le lundi 12 février, le soir des finales des bosses. C’est la première des trois runs de Mik. Il est en haut de piste. Là, je vois son visage sur le gros écran. Ses yeux, ses joues. Je sais qu’il est off. »

Je n’ai pas beaucoup parlé de ça, mais là je peux le faire parce que, finalement, j’ai pu le prouver. Mais après mes premiers Jeux olympiques en 2016, à Rio, j’avais quand même des doutes dans ma tête. La médaille d’or de Derek Drouin, en saut en hauteur, et la médaille de bronze de Damian Warner, au décathlon, deux des athlètes avec qui je travaillais, sont arrivées à la fin des Jeux, à deux jours d’intervalle.

Je me disais que j’avais été un peu chanceux. Mais il y avait Dorothy Yeats, en lutte, qui a fini 5e. Elle a perdu le bronze par un point. Et puis, Antoine Valois-Fortier en judo qui a pris le 7e rang. Il s’est incliné en prolongation contre le Russe. Mais quand tu connais le judo, tu sais qu’il s’agissait d’un seul moment. Il aurait pu gagner la médaille d’or, en fait. Je me disais : « Là, J.-F., est-ce qu’il y aurait quelque chose de plus que t’aurais dû leur enseigner? »

Je suis revenu de Rio, puis comme n’importe quel grand compétiteur, je me suis posé des questions. Ces médailles-là ne sont-elles qu’un hasard? Ce que je fais marche-t-il vraiment?

Il a fallu que j’attende deux ans avant de le savoir.

Avant de revenir à Mik et à la journée du 12 février, je pense que c’est important que je mette en perspective la raison pour laquelle j’ai choisi cette voie-là.

Je n’ai jamais été un athlète d’élite dans un sport, mais j’ai été un très bon athlète dans plusieurs sports. Mes deux sports majeurs étaient le hockey et le softball.

Quand j’ai commencé mes années juniors au hockey, il y avait beaucoup de gars qui étaient moins talentueux que moi, mais qui avaient plus de succès que moi. C’était des athlètes qui se remettaient facilement de leurs échecs. Moi, je me tapais sur la tête quand ça n’allait pas bien. J’avais tendance à me mettre beaucoup de pression. J’étais mauvais perdant.

Ç’a été des années où j’ai beaucoup réfléchi. Il fallait juste changer la perspective face aux situations, puis être un peu plus constructif. C’est vraiment en faisant ces changements-là que j’ai vu un impact positif. Non seulement j’avais plus de succès dans les sports, mais j’avais plus de succès à l’école. Je suis un des rares pour qui les notes à l’université étaient beaucoup plus fortes qu’au secondaire. Ma moyenne était de 10 à 12 % plus élevée. Pour moi, adopter une bonne attitude, ça a été le tournant.

Puis, j’ai eu mon premier cours en psychologie du sport. J’ai finalement compris ce que j’avais fait instinctivement à la fin de l’adolescence. Je me suis dit : « Wow, est-ce que je pourrais gagner ma vie à enseigner ces choses-là? »

Il y a eu aussi un autre tournant. Celui-là a été la prémisse à un principe très important que je transmets maintenant aux entraîneurs : ne jamais, jamais sous-estimer l’impact du langage corporel.

À la fin de ma deuxième année à la maîtrise en psychologie du sport, avant de commencer le doctorat, on avait une présentation d’une heure à faire devant tous les profs du programme. C’était une espèce de défense de notre internat de 400 heures et de notre apprentissage de deux ans. Il fallait répondre à la question : « Où est-ce que tu te vois dans 10 ans? »

J’avais 24 ans et aucune expérience. Je n’avais jamais travaillé dans le domaine encore. Mais je savais qu’il fallait que je réponde différemment des autres. Il ne faut pas avoir peur d’être différent. La raison pour laquelle des gens se démarquent dans leur domaine, c’est précisément parce qu’ils sont différents. Différent ne veut pas dire néfaste ou mauvais. Ça veut juste dire se différencier.

Je leur ai dit : « D’ici 10 ans, je vais avoir travaillé au moins cinq ans pour une organisation sportive dans un sport professionnel. Je vais me faire payer au moins 5000 $ pour donner une conférence et je vais travailler avec un athlète d’élite qui va devenir le meilleur du monde. »

Je me souviens très bien des visages devant moi. Il y avait un seul visage souriant des cinq qui me regardaient. Ce qu’il me donnait comme information, c’est : « Tu vas le faire. Vas-y, mon gars! » Les quatre autres étaient sous le choc et leur langage corporel disait : « Impossible. Il n’a aucune idée de ce dont il parle. » Cette personne-là qui a cru en moi a eu un impact direct sur ma vie sans le savoir. J’avais juste besoin de ça parce que si tous les cinq avaient eu le même regard, je ne sais pas si je serais ici en ce moment.

Mon premier job à 25 ans, ç’a été avec le Cirque du Soleil. Pas pire comme organisation sportive professionnelle! J’ai travaillé avec eux pendant cinq belles années. Pour les conférences, c’est parfois gênant de penser combien je peux facturer maintenant. Pour l’athlète d’élite qui est devenu le meilleur dans le monde… ça se passe de précision!

Le projet de Mikaël pendant quatre ans, ç’a été un gros projet. Un GROS projet. J’ai reçu un appel de B2dix deux mois après la médaille d’argent de Mik à Sotchi. Ils m’ont proposé d’être son coach en préparation mentale. B2dix, c’est justement ça qu’ils font, prendre des athlètes sous leur aile et leur donner un encadrement optimal pour qu’ils puissent performer. Je savais très bien qu’il y avait un seul résultat souhaité. Dans ma tête, mon travail ne valait pas grand-chose si Mik ne gagnait pas l’or à Pyeongchang.

La journée du 12 février a été un grand moment.

À 11 h, tout le personnel a une réunion. Mik n’est pas là. L’entraîneur national en chef, Rob Kober, s’assure que tout le monde sait quoi faire pendant la journée et pendant la soirée pour les finales. À la fin de la rencontre, Marc-André Moreau, le directeur de la haute performance, demande si quelqu’un a quelque chose à ajouter. Je prends la parole.

« J’aimerais que vous tous ici, dans cette salle, vous sachiez que cette année, vous avez été exceptionnels pour Mik. Votre façon de communiquer, votre langage corporel autour de lui, votre façon d’interagir avec lui, ç’a été A-one. En fait, une grande partie de son succès cette année, c’est grâce à vous autres. Depuis que je suis arrivé aux Jeux, c’est la même chose. Vous avez été magnifiques pendant les entraînements. À la qualification, vous étiez calmes, en contrôle, vous étiez l’fun à côtoyer. Vous n’avez pas trop parlé avec lui, mais pas trop peu non plus. Vous avez été vous-mêmes, comme d’habitude.

Mais tout ça doit continuer ce soir. Sinon, ça va se dérégler. Si vous n’êtes pas pareils comme d’habitude, Mik va s’en rendre compte. Ça va le déranger. Il est dans un état mental exceptionnel depuis qu’il est aux Jeux. Mais ce soir, je sais qu’il va être nerveux. C’est normal. Ce soir, on a trois finales. Il n’a pas besoin de finir 1er à toutes ses descentes. Il a juste besoin de finir dans les 12 premiers, puis dans les 6 premiers.

Et après, l’objectif ultime, c’est de gagner la dernière finale. Mais ça se peut que dans les descentes précédentes, il finisse 3e, 4e ou 5e. Ce n’est pas grave. S’il est shaky après sa première descente, il est assez bon pour s’adapter. Il a assez d’habiletés pour se reprendre. Il va avoir assez de points pour passer au top 12. Il ne finira jamais pire que 12e. »

À 21 h 30 ce soir-là, c’est la première des trois descentes de Mik. Il est en haut de piste. Là, je vois son visage sur le gros écran. Ses yeux, ses joues. Je sais qu’il est off. Il marque 81,27 points. Quatrième. La dernière fois que Mik a été bousculé comme ça dans une première descente de Coupe du monde, ça fait longtemps. Vraiment longtemps.

En bas, je suis à peu près à six mètres des entraîneurs et je les observe. Ils ont filmé sa descente, comme d’habitude. C’était une beauté de voir ça. En contrôle, calmes. Mik va tout de suite à la vidéo pour voir sa descente. Il regarde l’écran pendant deux, trois minutes. Les entraîneurs ont juste dit : « Good job, Mik. », comme ils le font d’habitude. Un petit fist pump.

Mik s’en vient me voir puis il dit : « J.-F., j’étais tellement nerveux. » Il le reconnaît. Il fait juste l’admettre. Il ne se tape pas sur la tête. Puis, il me dit avec un grand sourire : « Objectif réussi! Je passe à la prochaine phase. » Il est tout simplement concentré sur ce qui s’en vient et non pas sur ce qui vient de se passer. Il prend une petite gorgée de sa boisson gazeuse, il me donne un petit fist pump, puis il retourne en haut.

Il se prépare alors à sa deuxième descente. Je vois son visage à l’écran géant. Il y a beaucoup moins de stress, mais ce n’est pas le Mik que je connais encore. Il fait sa descente. Son saut n’est pas loin de la perfection. Il fait encore la même erreur dans les bosses.

Il obtient une note de 82,19. On savait que ça allait être assez bon pour être dans les trois premiers. Même chose : il va voir les entraîneurs à la vidéo. C’est une copie conforme. Même langage corporel. Il regarde sa descente, puis il vient me voir. Même affaire. Fist pump. Objectif accompli.

Là, je le laisse parler. « Je suis encore allé trop vite dans les bosses. En ralentissant un peu, je vais perdre peut-être 15 centièmes de seconde, mais je vais aller chercher plus de points. » Et c’est là que Mik est un des meilleurs du monde : recueillir l’information pertinente, de descente en descente, pour aligner les choses pour la super finale. Petit fist pump encore, puis il remonte.

Je vois son visage. Il prend sa bonne grande respiration. Expire. Frappe ses bâtons ensemble de façon lente. Les descentes d’avant, c’était clic-clic-clic-clic-clic. Cette fois-là, c’était clic   –   clic   –   clic. Il prend une autre bonne respiration. Je vois qu’il entend Rob lui dire, comme d’habitude : « You’ve got this, Mik. » Les descentes d’avant, il ne l’avait pas entendu. Puis là, il se met à descendre.

Quand il a finalement traversé la ligne d’arrivée, pour moi, le projet Mikaël venait de s’accomplir.

Je n’ai jamais été émotif comme ça de ma vie. Ça sortait de partout. Quand j’ai serré ses parents dans mes bras, c’était intense. Puis avec Rob, son coach, puis avec Marc-André. Ceux qui étaient à la rencontre du matin sont venus me voir, puis ils m’ont demandé : « Comment tu savais que ça se passerait comme ça? » Évidemment, je ne le savais pas.

Mikaël est descendu de piste. Il est allé voir ses parents en premier. Moi, je n’étais pas loin. Il m’a vu. Les organisateurs des Jeux essayaient de l’amener vers le podium. Il les a tassés, puis il est venu me voir. Il m’a pris par les épaules, puis il m’a donné un gros câlin. Il m’a dit : « Je n’aurais pas pu gagner cette médaille-là sans toi. » Dans le moment, dans l’émotion, il ne pouvait pas être plus honnête que ça. J’ai fondu en larmes.

J’ai compris que Rio, ce n’était pas un fait du hasard.

C’est drôle hein, mais pour Scott (Moir) et Tessa (Virtue), quand ils ont gagné aux Jeux, je n’étais pas surpris. Je n’étais pas si stressé que ça.

Quand ils ont décidé de revenir à la compétition en 2016, même les entraîneurs n’étaient pas sûrs qu’ils allaient être compétitifs. Entre leur retour et les Jeux de Pyeongchang, on avait 14 compétitions pour trouver la bonne approche. Celle qui allait les mettre dans le meilleur état physiologique et mental pour pouvoir offrir deux programmes d’affilée pas loin de la perfection. Ça en a pris 13 pour la trouver.

Ça s’est passé à Vancouver au mois de janvier. C’était les Championnats canadiens, la dernière compétition avant les Jeux olympiques. C’est là que j’ai vécu mon moment avec eux.

Avant Noël, à la finale des Grands Prix au Japon, ils n’ont pas été assez bons et les Français, leurs grands rivaux, les ont battus. Non seulement ils ont fini 2es, mais ils ont fait des erreurs. Moi, je savais ce qui manquait. La bonne prestance sur la glace, ils n’y avaient pas encore touché.

Ils savaient que Vancouver, c’était leur dernière chance de tout mettre en place. La façon dont ils ont travaillé pour se préparer pour Vancouver, ç’a été de toute beauté.

Ils arrivaient ici, à mon bureau, ils prenaient quatre, cinq pages de notes à chacune de nos rencontres. Ils feuilletaient ça, ils regardaient leurs notes. Ils revenaient, puis ils faisaient des liens avec la session d’avant. C’était tellement l’fun de travailler avec eux. J’ai une expression pour ça : ils sont students of their game. Ils sont tellement bons pour soutirer la bonne information et bien l’intégrer. C’est la même chose pour Mik, Derek Drouin puis Maxence Parrot.

Finalement, à Vancouver, les deux scores que Scott et Tessa ont obtenus pour leur programme court et leur programme libre, c’étaient de loin deux records du monde. En fait, il y a un des programmes pour lequel ils n’auraient pas pu avoir une meilleure note. Au point de vue du pointage, c’était la perfection. C’est venu me chercher quand ils ont fini leur programme long. Je n’étais pas capable d’arrêter de pleurer parce que, pour moi, c’était une confirmation qu’ils étaient prêts pour les Jeux. Puis, jusqu’à ce moment-là, on ne l’avait pas eue, la confirmation.

C’est vrai que les athlètes que j’ai accompagnés à Pyeongchang ont eu beaucoup de succès. Je les ai aidés à réaliser leur rêve. C’est un honneur et aussi un privilège.

Au slopestyle, les planchistes ont trois descentes à faire. Ils reçoivent une note pour chacune d’elles, puis les juges gardent la meilleure pour déterminer le classement final.

Max rate ses deux premières descentes. Il chute violemment à deux reprises. Il vient me voir en bas de piste après sa deuxième. Il est dans une colère noire. Il me demande quoi faire, mais je lui renvoie la question, en sachant qu’il a la réponse. Il l’avait. Il me dit : « Je reviens à ma descente de qualification. Je vais la visualiser. Je laisse faire le saut qui ne marche pas, puis dans la chaise en montant, je vais penser au petit Max de 9 ans qui tond des gazons tout l’été pour s’acheter son premier snow. »

C’est cette médaille d’argent là, celle de Max, après deux descentes ratées, qui a inspiré les autres.

Moi, je prends tout comme une performance. J’ai une discipline de fer. Tout est calculé pour que je sois toujours la meilleure version de moi-même : mes entraînements, mes heures de sommeil, ma diète, mes siestes. Je sais que ma personnalité, j’en suis très conscient, peut déranger des gens. Je viens d’une famille où j’ai appris à être respectueux, gentil, authentique, reconnaissant. Mais je suis intense. Je suis un go-getter.

En 2015, je suis allé faire un camp d’entraînement avec lui, à Zermatt, en Suisse. Je ne suis pas un skieur et ça faisait 13 ans que je n’avais pas mis de skis à mes pieds. Là, il fallait que j’aille sur un glacier où c’est assez à pic. Le camp était au mois d’octobre, donc je ne pouvais pas skier au Québec pour me préparer.

J’ai donc passé à peu près 15 heures sur YouTube à visualiser et à m’entraîner pour apprendre. Juste pour que j’aie la confiance minimale sur la pente et que je ne montre pas de peur à Mik. Comme coach en préparation mentale, c’était important qu’il sache que j’étais en contrôle. Pendant le camp, à un moment donné, il m’a dit : « Je pensais que tu ne savais pas skier. »

Ça fait partie de ma personnalité.

Depuis les Jeux, j’ai reçu peut-être une quarantaine de demandes qui sont venues de partout. Ça n’a pas de sens. Un entraîneur d’une équipe de la Ligue nationale de hockey a vu certaines performances des athlètes avec qui je travaille. Il voudrait que je travaille avec sa formation. Mik m’a dit qu’une dizaine d’athlètes sont allés lui demander, après sa victoire, qui est son préparateur mental. Ça a suscité beaucoup d’intérêt.

C’est drôle, hein. Le plus beau moment de mes Jeux olympiques a été quand je suis revenu ici, à la maison. J’ai passé la porte, puis mes enfants m’ont mis une médaille autour du cou. Ils m’avaient fabriqué une médaille d’or. C’est écrit « Papa » dessus, avec les anneaux olympiques. Ils ont de plus choisi la même couleur de ruban qu’aux Jeux. Ils voulaient copier la médaille exacte. Les larmes m’en montent aux yeux. Eux, ils ont suivi ça à la télé de façon religieuse.

C’est là que mon fils a dit : « Je sais que vous, vous n’en avez pas. Mais là, toi, maintenant, t’as ta médaille. »

 

Texte original publié sur le site de Ici Radio-Canada : http://ici.radio-canada.ca/sports/special/podium-olympiques-pyeongchang-jean-francois-menard-preparateur-mental-mikael-kingsbury-maxence-parrot-tessa-virtue-scott-moir/

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