On doit s’amuser pour que ça dure

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Bernard Letendre, LL.B., LL.M.

Chef mondial, Stratégie et produits

Gestion de placements Manuvie

Cet article comporte une importante leçon que j’ai retenue dans les derniers mois, alors que j’ai eu de la difficulté à garder mes saines habitudes de vie pendant la pandémie de la COVID-19. Le point de départ est une marche soutenue dans mon quartier, mais il s’agit surtout de créer des occasions de réussite dans différents aspects de nos vies. Tout d’abord, quelques mots sur le processus de réflexion que tout cela a nécessité.

En dissertant sur les différents types de connaissances dans un article publié en 2006, Andrew Van de Ven et Paul E. Johnson ont écrit ce qui suit :

« L’objectivité a souvent été considérée comme étant au cœur du savoir scientifique. […] En revanche, la connaissance pratique avance au moyen d’une implication plus subjective d’une personne qui sait et agit. Le point de vue personnel de la personne qui s’engage dans la pratique produit le genre de connaissance qui est essentielle à la démarche efficace et pratique. Savoir comment faire quelque chose apparaît à la suite d’un dialogue soutenu entre praticiens. La compréhension est transactionnelle, ouverte et intrinsèquement sociale. Le demandeur ne se place pas à l’extérieur de la situation problématique comme un spectateur ; il ou elle est dans la situation et il/elle transige. Se trouver dans la situation et y être entièrement référencé est un prérequis pour la comprendre dans l’action. Donc, la connaissance de la pratique « est dans l’action ».

« Cependant la connaissance subjective du praticien est aussi appuyée par le détachement. […] Ce genre de réflexion, en fait, est une façon qui permet à la connaissance pratique de se raffiner et de devenir une sagesse pratique. Comme le déclare Schön, « Quand quelqu’un réfléchit pendant qu’il est dans l’action, il devient un chercheur. Il ne dépend pas des catégories de la théorie et de la technique qui sont déjà établies, mais construit une nouvelle théorie fondée sur le cas particulier». » (Van De Ven, Andrew H. et Paul E. Johnson. Traduit en français de : 
« Knowledge for Theory and Practice. » The Academy of Management Review, vol. 31, no. 4, 2006, 802–821, p. 807)

Je suis tombé sur cet article de Van de Ven et Johnson il y a plus de sept mois, en août 2020, et depuis ce temps j’y pense souvent. Puis, d’autres pièces du casse-tête ont commencé à se mettre en place.

Comme bien des gens un peu partout, j’ai constaté que plusieurs de mes habitudes de longue date ont été chamboulées dans la dernière année en raison de la pandémie de la COVID-19.Une de ces habitudes, dans mon cas, consistait à me rendre au dojo trois fois par semaine pour pratiquer le judo. Une habitude que j’avais gardée depuis plusieurs décennies.

Même si ça fait des années que mon engagement à m’adonner à l’activité physique ne se dément pas, j’ai eu pas mal de difficulté à développer de nouvelles saines habitudes de vie. Au début de la pandémie, il y a un an, j’ai tenté d’y aller d’une rapide conversion au jogging. J’avais les meilleures intentions du monde au début, mais je n’ai jamais réussi à y croire vraiment. La course à pied n’est pas mon truc et je n’ai jamais réussi à faire naître en moi la volonté de fer ou le niveau de motivation nécessaire pour transformer l’occasionnelle séance de jogging en habitude durable. J’ai aussi essayé de faire de l’exercice régulièrement dans mon sous-sol, mais en gros, ç’a été un aussi gros succès que la résolution du Nouvel An que prend monsieur ou madame Tout-le-Monde en s’achetant un abonnement au gym. Je me suis senti coupable et j’ai essayé de me servir de ça pour me motiver, mais ça n’a rien changé.

Je me suis pas mal mieux débrouillé quand la température est devenue clémente parce que j’adore me retrouver sur l’eau, alors j’ai trouvé ça facile d’embarquer dans mon kayak et de pagayer pendant deux heures quelques fois par semaine – une belle habitude saisonnière que je n’ai aucune difficulté à reprendre d’une année à l’autre. Toutefois, quand la saison a pris fin et que la marina a fermé les portes pour l’hiver, j’étais de retour à la case départ et je me retrouvais à contempler six ou sept mois de… quoi au juste ?

Je savais à ce moment-là, en raison de ce que j’avais vécu par le passé, que les chances que j’aille courir plusieurs fois par semaine ou que je fasse de l’exercice régulièrement dans mon sous-sol étaient extrêmement minces. Alors j’ai fait quelque chose de radical qui a été surprenant pour tout le monde, moi y compris : ayant été extrêmement actif physiquement pendant des décennies, j’ai décidé de ne plus m’entraîner régulièrement.

Ayant laissé tomber les séances d’entraînement à intensité élevée, j’ai commencé à faire des marches dans mon quartier à l’occasion. Au moment où les températures ont commencé à chuter loin au-dessous de zéro, j’avais déjà eu le temps de m’installer dans l’habitude de faire le même parcours, toujours le même. J’ai constaté que bien que je n’arrivais pas à trouver la motivation pour faire du jogging quelques fois par semaine, la plupart du temps, ce n’était pas si difficile d’aller marcher. Temps doux ou temps froid, ensoleillé ou enneigé (mais pas trop!), voici quelque chose auquel je prenais plaisir et auquel je pouvais m’adonner de façon très régulière. Et quand j’ai fini par télécharger une appli qui me permettait de savoir quelle distance je franchissais dans une semaine en moyenne, il s’avère que celle-ci s’élevait à quelque chose comme de 25 à 30 kilomètres avec une tendance à la hausse.

Et puis un jour, quelque chose d’étrange est arrivé : quelques kilomètres après avoir commencé ma marche, alors que je respirais un peu plus rapidement et que je me sentais bien échauffé malgré le froid, j’ai senti l’envie d’accélérer le rythme et de commencer à courir. « C’est vraiment ce que je veux faire ? » Je me souviens d’avoir pensé : « Oui, pourquoi pas ! »

Sautons quelques mois dans l’avenir et encore à ce jour, je ne sors jamais pour faire du jogging. Cependant je sors pour une marche et bien souvent, après avoir franchi quelques kilomètres, le tout se transforme en course à pied parce que j’en ressens tout simplement le besoin à cet instant (et si l’envie ne vient pas, je ne le fais pas parce que je ne veux pas gâcher ce qui s’annonce comme une très belle marche). Je n’ai jamais mesuré la distance que je finis par franchir à la course, mais j’imagine que c’est quelque chose comme la moitié de la distance que je franchis à pied au cours d’une semaine normale – avec tendance à la hausse. La semaine dernière, j’ai « marché » sur une distance d’un peu moins de 50 kilomètres.

J’ai beaucoup réfléchi récemment à propos de cette apparente contradiction, à savoir que parfois, on arrive à nos fins seulement après avoir lâché prise. Mais il s’avère que ce n’est pas une contradiction tant que ça. 

J’étais en congé ces dix derniers jours et, cette année, j’ai choisi les dates de vacances du printemps afin qu’elles coïncident avec l’Ontario Coaches Conference, une conférence pour entraîneurs qui a lieu sur une base annuelle (et, cette année, virtuelle). Il y a quelques jours, un des conférenciers nous a encouragé à voir les athlètes (et les gens en général) « non pas tels qu’ils sont, mais plutôt comme ceux qu’ils pourraient devenir ». Mais au Canada, sept jeunes sur 10 abandonnent le sport organisé avant l’âge de 13 ans. Comment aider quelqu’un à atteindre son potentiel après qu’ils cessent de se présenter ?

Un athlète qui se présente à la séance d’entraînement va toujours en apprendre davantage et avoir droit à un meilleur entraînement que celui qui a décidé de rester à la maison ou qui a abandonné complètement. Ce matin, justement, un des conférenciers a fait remarquer que « la recherche démontre qu’être dur à notre propre égard n’améliore pas la performance ». La mission première des entraîneurs de toutes sortes, s’ils veulent créer des occasions de réussite de toutes sortes, est d’inciter les gens à rester engagés et à continuer de revenir, et non pas d’appliquer une plus forte pression. Mais combien de gens perdons-nous en cours de route parce que nous établissons des normes et des objectifs qui ne sont tout simplement pas réalistes ? À quel point peut-on espérer qu’on y aille d’un effort durable quand le coeur n’y est plus ? Et combien de personnes cessent tout simplement de se présenter – mentalement tout d’abord, puis physiquement – parce que nous avons enlevé tout le plaisir qu’il y avait pour eux dans tout ça ?

Je ne sais pas trop s’il y a ici la moindre parcelle de sagesse pratique à trouver ici, mais je sais une chose : je n’ai jamais autant couru depuis que j’ai arrêté d’essayer de me forcer à aller courir – pour ensuite m’autoflageller quand je n’y arrivais pas aussi souvent que je l’espérais.

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